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Le quotidien d'un directeur d'EHPAD

17 juin 2018

Money for nothing...

Malgré plusieurs coups frappés à la porte, sans réponse, nous décidâmes d'entrer dans cette chambre, anonyme et blafarde, une vraie chambre d'hôpital. Suzanne, assise sur un fauteuil, tournait le dos à la porte, sans sonnette à proximité, le regard fixe en direction du feuillage de l'arbre sur lequel donnait sa chambre,  tassée dans un bien trop grand fauteuil pour elle. Elle sursauta en nous voyant et commença à tempêter contre ma Tante qui l'avait surprise, lui avait fait peur, qui n'avait pas frappé, et que faisait-elle là, ne pouvait-elle pas la laisser un peu tranquille ?!!...

Pas de meilleur accueil pour "la Belle aux grands yeux", pas même d'accueil... et alors que je sentais ma Tante désespérée par tant d'incompréhension, les larmes au bord des yeux, prête à flancher et à rétorquer sur un ton à la hauteur de son accueil, je pris le parti d'en rire et de lui demander comment elle voulait que nous lui fassions une surprise si nous nous annoncions. 

Je crois que c'est seulement à cet instant qu'elle a réalisé ma présence, et surprise, son ton s'est immédiatement adouci et j'ai été accueillie d'un "tiens, voilà la Belle aux grands yeux" alors qu'un grand sourire s'est ouvert sur son visage. Ouf ! Suzanne était encore Suzanne et je reprenais la main pour laisser à ma Tante le temps de se requinquer, expliquant à Suzanne qu'elle avait bien choisi son moment pour prendre des vacances, que fin mai début juin l'hôtel n'était pas encore trop cher... bref, tenter, comme je le pouvais, de dédramatiser un peu tout ça.

Une chose m'avait marquée, dès mon premier regard. Alors que lors de ma dernière visite, son hygiène était discutable, là, son visage était propre, ses cheveux aussi, et pas d'odeurs désagréables n'étaient à noter.

Ma Tante, discrètement, m'avait passé le sac qui contenait les vêtements et j'expliquais alors à Suzanne que nous avions choisi, avec précaution pour ne pas trop déranger ses affaires, deux/trois vêtements pour qu'elle ait moins chaud. Et je lui demandais alors la permission de les ranger dans son armoire, ce qu'elle accepta facilement. C'est alors que je vis deux énormes protections (des anat' bleues dans notre jargon) dans ce placard et alors qu'elle ne perdait pas une miette de ce que je faisais, elle me dit, sous couvert de secret :
"Je les ai piquées sur un chariot dans le couloir parce que tu comprends, à la maison, j'ai mes habitudes et je prends mon temps, mais là, je n'arrive pas assez tôt !
Je m'engouffrais alors pour lui expliquer que ces trucs ne devaient être ni confortables, ni pratiques à mettre, ce qu'elle acquiesça dans un grand éclat de rire et j'avais alors un boulevard pour lui parler des pull-ups qu'elle pourrait utiliser, et inclus ma tante dans la confidence, la mandatant pour qu'elle programme cet achat.

La première demi-heure partagée fut un doux délice ; nous retrouvions Suzanne presque comme avant, au bémol qu'elle ne se précipitait pas pour manger son baba au rhum, repoussant l'assiette au bout du premier quart. Consciente de ses troubles mnésiques, elle notait dans une sorte de journal, les événements marquants de son séjour : des prénoms en face de descriptions physiques des soignantes, le prénom de l'une de ses anciennes élèves qu'elle n'avait pas reconnue, les différents appels téléphoniques reçus, et les questions à poser à ceux qui venaient la voir, dont nous. Et tout à coup, sans que nous ne comprenions vraiment pourquoi, une question a fusé qui n'était pas sur la liste :

Alors, donc, là, je suis à l'hôpital, mais après, je vais devenir quoi ?
- ...
- Donc là, je suis à l'hôpital, mais après, je vais devenir quoi ?

Patiemment, ma tante lui a, ré-expliqué, ré-ré-ré-expliqué que lundi, elle allait rentrer chez elle... et j'ai lu un éclair de panique dans ses yeux. Le moment était venu d'aborder l'après, mais était-elle prête pour autant ?

- Tu vas rentrer chez toi lundi...
- Mais comment ?
- Avec une ambulance et ta femme de ménage sera là pour l'accueillir, et nous viendrons nous aussi.
- Mais que va-t-il se passer lundi alors ?
- Tu vas rentrer chez toi, lundi après le repas
- Mais comment ?
- Avec une ambulance, et nous serons là nous aussi, et ta femme de ménage sera à la maison pour t'accueillir aussi...
- Mais que va-t-il se passer lundi... etc etc...

La patience de ma tante commençait à s'émousser et je pris le relais.

- Tu es inquiète pour lundi ?
- Ben oui, on me dit que je vais rentrer chez moi mais je ne vois pas comment ça va pouvoir se passer...
- Ne t'inquiètes pas, on va tout organiser pour que ça se passe le mieux possible... C'est bien ce que tu veux, rentrer et rester chez toi ?

Un long silence se fit entendre et dans un souffle, elle me regarda et me dit : tu sais, entre ce que je VEUX, et ce que je PEUX ! Et j'ai lu, au fond de ses yeux, une telle terreur qu'il n'y avait rien à répondre. Et c'est alors qu'elle rajouta : Tu sais, je me suis promenée dans le couloir et j'en ai vu des fins de vie. La mienne n'est pas si mal à côté, mais jusqu'à quand ?

Je lui ai alors proposé que nous préparions des dossiers, de précaution, pour que si un jour elle avait besoin, elle ait une place dans une maison de retraite, mais pas n'importe où, une maison de retraite que je connais, que nous aurions choisie, elle, Frédéric et moi...

Et là, elle se ferma, et ne répondit plus... jusqu'à nous demander :

- Donc là, je suis à l'hôpital, mais après, je vais devenir quoi ?

----------------------------------------------------------------------------

Suzanne est rentrée chez elle, lundi, comme prévu, accompagnée de mon oncle et ma tante. Sa femme de ménage était là aussi ; elle continue à venir un jour sur deux, comme avant : les repas lui sont livrés un jour sur deux, comme avant aussi. Seule nouveauté, l'ESA (Equipe Spécialisée Alzheimer) vient lui rendre visite une fois par semaine et je vais les contacter pour que, peu à peu, une aide à la toilette se mette en place.
Pour l'heure, les choses tiennent tant bien que mal. J'ai vu avec mon cousin pour que les heures de la femme de ménage soient augmentées pour une présence quotidienne et idéalement, multi quotidienne. Je ne l'ai pas convaincu, alors que je sais, après avoir complété le dossier d'APA, que les ressources de Suzanne seraient suffisantes pour assurer un soutien à domicile, H24, pendant dix ans... Mais je n'ai malheureusement, aucune prise sur ce type de décision puisque je ne suis ni personne de confiance, ni future héritière... et malheureusement, après ce que j'ai vécu sur ces trois jours là, je ne suis pas certaine que son futur héritier soit du même avis que moi ce qui m'a mise dans une sourde colère.

C'est donc au terme de ce week end que j'ai remercié la vie d'être fille unique et de vivre, à présent, avec un fils également unique parce que lorsque j'ai eu à gérer la fin de vie de Papa, je n'ai eu de comptes à rendre à personne et surtout, l'avis de personne à recueillir !

Vous la sentez, ma colère, là ? Deux semaines après, elle est encore intacte. Je vais voir Suzanne le week-end prochain. Pensez à moi, les Amis :(

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11 juin 2018

Dans la maison vide...

Après une soirée Géronto qui s'est longuement étirée dans la nuit limousine, entre nostalgie, espoirs et projets, samedi midi est arrivé très vite et les bougies à pleine soufflées, ma tante et moi prenions la route en direction de la ville de mes années lycée, avec deux impératifs :
- nous mettre en quête d'un baba au rhum,
- passer chez Suzanne récupérer des vêtements moins chauds que ceux qu'elle portait à l'hôpital.

Quarante cinq minutes et autant de kilomètres plus tard, je garai ma voiture devant la maison de Suzanne, le coeur serré de voir cette maison fermée. Il faut préciser que j'ai un attachement particulier à cette maison, construite dans le pur style périgourdin, aux pierres de saint yrieix et au toit pentu, la glycine ayant tordu le garde corps du balcon de la porte d'entrée au fil des ans. Cette maison que j'ai connue accueillante, pleine de vie et de projets, dans laquelle j'ai vécu à un moment de mes années lycée, vit depuis quelques années déjà au rythme de vie de sa propriétaire, c'est à dire, volets clos pour la majorité des pièces en dehors de la cuisine et de la chambre. Avez-vous remarqué combien l'espace vital se réduit au fur et à mesure que l'âge avance ? J'en étais là de mes réflexions lorsque ma tante ouvrit la porte d'entrée sur cette étagère ployant sous le poids des albums photos de voyage : Syrie, Iran, Egypte, Etats Unis... Un jour que nous discutions, Suzanne et moi il y a quelques années déjà, je lui disais combien j'étais nostalgique de ces dimanches après midi pluvieux où, enfant, j'accompagnais mes grands parents pour passer la journée dans sa maison, perdue en pleine campagne limousine et alors que le repas était terminé, elle dépliait le grand drap blanc sur le mur, installait le projecteur, et nous passait ses diapos de voyage. Elle fut particulièrement surprise de ce souvenir d'enfant, et plus encore de la précision avec laquelle je lui narrais puisque je me souviens de chaque coin de cette grande pièce de vie où le cantou prenait la moitié d'un mur. J'avais moins de dix ans pourtant !

Ma Tante, me voyant rêvassait et n'ignorant sans doute rien de là où mes pensées m'avaient amenée, me prit alors dans ses bras et me dit ces mots : Ma petite RdT, ce que la vie nous oblige-t-elle à faire... tu te rends compte, entrer chez Suzanne quand elle n'est pas là... aller fouiller dans son armoire... Mais que va-t-elle penser ?

Le sentiment qui m'étreint alors fut assez terrible : Suzanne était bien vivante alors que sa maison paraissait morte. Je n'eus alors pour seul projet que d'aller vite ouvrir les volets, ceux de la cuisine et de la chambre pour le moins, en laissant la porte d'entrée grande ouverte. Un rayon de soleil traversa l'espace et je me fis la réflexion qu'à plus de cinquante ans, la vie m'avait préservée de devoir vider une maison, et que c'était très bien ainsi car, fille unique, le jour où la vie m'y contraindrait, ce serait assurément un très difficile moment à vivre... Je compris alors beaucoup mieux pourquoi les enfants de nos voisins avaient mis plusieurs années avant de vider ces maisons, ne venant que quelques jours par ci, quelques jours par là...

Ma Tante m'avait entraînée dans cette chambre où je pénétrais pour la deuxième ou troisième fois, mais que j'avais toujours trouvée étonnante avec ces deux lits une personne, pour choisir les vêtements. Puis, après avoir opté avec soin pour un tee-shirt à rayures vives et un pantalon léger, nous devions nous attaquer à la longue liste des documents nécessaires pour compléter un dossier de demande d'APA. Aller fouiller dans les relevés de compte était, pour l'heure, au-delà de mes forces. En dépit de son écriture devenue un peu tremblottante au fil des ans, Suzanne avait gardé son écriture de prof de maths, fine et régulière, et malgré une mémoire qui yoyote un peu pour reprendre ses termes, voilà que ses dossiers administratifs étaient parfaitement tenus et qu'il nous fut facile d'isoler les trois/quatre chemises à emporter.

Au moment de refermer la maison, mon coeur s'est serré, me demandant si la prochaine fois que j'en foulerai le seuil, Suzanne m'accueillerait encore de sa voix inimitable "Et voilà la belle aux grands yeux", me donnant sa main pour un baise main puisque depuis qu'elle a dépassé les quatre vingt cinq ans, elle refuse que nous l'embrassions, et tout autant de nous embrasser...

4 juin 2018

Elle court, elle court, et pas que la maladie d'amour...

Et c’est alors que j’ai demandé à ma mère si elle avait eu la réponse de mon oncle et ma tante pour nous accompagner, samedi midi, au restaurant et fêter tous ensemble ses 75 ans…

« Non, je leur ai dit que tu les appellerais soit ce soir, soit demain matin puisque je t’ai pas dit pour ne pas t’inquiéter, mais Suzanne a fait un malaise lundi et elle a été hospitalisée. »

Je ne sais pas vous, mais moi, j’adooooore les trucs qu’on ne me dit pas pour ne pas m’inquiéter, mais qu’on finit quand même par me dire… Grumpf

- Suzanne a fait un malaise ? Mais quel type de malaise ? Et elle était seule ? Et elle est comment ? Elle a des séquelles ?

- Arrête avec tes questions, je n’en sais pas plus ! Si ce n’est qu’elle était avec sa femme de ménage quand ça l’a prise, qu’elles venaient de prendre l’apéritif et que tout à coup, elle s’est mise à voir tout flou, puis plus rien du tout, et que même si elle n’a pas perdu véritablement connaissance, elle était très angoissée et demandait à la femme de ménage de ne pas la laisser, de rester avec elle, et que quand les pompiers sont arrivés, après qu’ils l’aient mise sur le brancard, elle a éclaté de rire et ne s’est pas arrêtée de rire jusqu’aux urgences, ce qui a provoqué l’interrogation de l’infirmière sur un possible état d’ébriété.

Le choc fut assez rude et je n’imaginais pas, une seconde, qu’un tel malaise puisse être la conséquence d’un pauvre verre de Suze-cassis car il faut savoir que dans la vie, le seul amour linéaire qu’ait vécu Suzanne tout au long de ces longues années, est celui de la Suze et du Rhum ! Et que pour se soigner d’un rhume, et quand il était là, et pour s’en protéger avant qu’il n’arrive, chaque soir elle se préparer, juste avant d’aller au lit, un grand bol de lait avec une bonne rasade de Rhum !

Je fus rassurée en apprenant que non, elle n’avait pas fait un AVC et qu’en dehors de la gestion problématique de son soutien à domicile pour la suite, elle n’avait aucune séquelle. Dois-je vous préciser mon soulagement ? Car sincèrement,  projection ou pas projection, je n’imagine Suzanne ni clouée sur un fauteuil roulant, ni dépendante !

Le lendemain matin donc, dès potron-minet (ouais, y’a tellement longtemps que je n’ai pas écrit, donc pas pu utiliser cette formule que j’en profite dès que je peux pour la caser…), j’appelle mon oncle et ma tante et à mon allo, ma tante s’effondre au téléphone et me réexplique ce que ma mère m’a expliqué la veille, en rajoutant qu’elle doit aller récupérer des vêtements chez Suzanne mais qu’elle ne sait pas ce qu’elle va trouver, ni où, et que comment Suzanne réagira lorsqu’elle apprendra qu’elle a fouillé dans ses affaires, d’autant que tu sais bien, elle la « mange de mal » à chaque fois qu’elle la voit, et puis l’assistante sociale devait leur envoyer un dossier à compléter mais ils n’ont  encore rien reçu, et que tonton, de toutes façons, il ne comprend rien alors qu’il veut s’occuper de tout, et puis elle non plus elle ne comprend rien, et que tiens, il ne faudrait pas vieillir, et puis, tu sais, franchement, hein, Suzanne elle la renvoyait sur les roses à chaque fois qu’elle lui parlait de son avenir, mais maintenant, sur qui ça retombe tout ça, hein, sur qui ça retombe ??? Le tout, entrecoupé de larmes à me fendre le cœur.

Sympa, le début du week end… et j’avoue que je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’il prenne cette direction. J’endosse alors mon ancien costume de pro de la géronto et synthétise autant que je le peux :

1 : Suzanne est à l’hosto, elle ne risque rien. Mais le problème, c’est bien maintenant les troubles cognitifs et la conséquence de tout ça.

2 : Ce qui devait arriver arriva, on y est ! C’était prévisible, prévu d’ailleurs, mais je ne pensais pas que ça arrive finalement aussi vite ! Merdalors…

3 : Ma tante est dépressive, ne supporte pas les 80 bougies qu’elle a soufflées cinq mois plus tôt, sa réaction est disproportionnée mais à la hauteur de sa détresse et de son incompréhension de ce que sont et ce qu’engendrent les troubles cognitifs… A garder dans un coin de mon cerveau…

4 : Mon oncle, en ancien patron tout puissant qu’il était, continue à vouloir faire marcher tout le monde (surtout sa femme) à la baguette, croît détenir la science infuse et donc veut tout gérer, mais au final, 77 ans aux prunes, fait conneries sur conneries…

5 : Mon cousin, plein de certitudes et de bonne volonté, et par ailleurs filleul de Suzanne, est marié à une infirmière à domicile, aussi rigide et obtuse qu’elle peut être peu empathique à certains moments, mais chouette et sympa à d’autres, disons les choses comme elles sont,  va prendre les choses en main. Ah oui, mais il vit à 650 km de là et elle est en vacances dans les Alpes et ils n’ont pas prévu de venir, ni ce week end, ni le prochain, ni le suivant…

6 : Samedi c’est l’anniversaire de ma mère, 75 ans, et pétard, c’est l’avant-dernier anniversaire que j’ai pu fêter avec mon père alors, merde, on ne va pas passer à côté, d’autant quand même qu’à la base, je suis venue pour ça ! Alors, faut caser ça au milieu de tout le reste.

7 : Quand il faut, il faut, l’essentiel est dans un premier temps de la rassurer pour l’apaiser.

J’ai donc, dans la même phrase et je ne sais pas comment, proposé :

- d’appeler l’assistante sociale qui aurait dû adresser le dossier APA mais qu’ils n’ont pas reçu

- si elle ne l’a pas envoyé, d’un récupérer un et de le compléter avec tonton (important de ne pas le mettre de côté) pour ne pas perdre plus de temps. Quels sont les revenus de Suzanne, est-ce que ça vaut le coup ? J’en sais rien, mais elle me disait toujours qu’elle n’aurait pas les moyens de payer une maison de retraire…

- de récupérer un dossier d’admission pour l’EHPAD que j’ai dirigé pendant sept ans

- de récupérer un autre dossier d’admission pour l’EHPAD que l’une de mes copines dirige et qui, même si pour l’heure, c’est pas le top au niveau accompagnement, je suis certaine que la qualité va s’améliorer dans les mois et années à venir. Y’a des valeurs, y’a de l’engagement, ça va finir par payer !

- de faire le point avec Frédéric sur les EHPAD à cibler géographiquement.

- de conduire ma tante chez Suzanne pour récupérer les vêtements, et on dira que c’est moi… et en profiter pour récupérer les informations nécessaires pour compléter la demande d’ APA

- de préparer le repas de samedi midi chez maman pour qu’on déjeune tous ensemble mais que ce soit plus flexible qu’au restaurant pour qu’on parte plus tôt et qu’on aille rendre visite à Suzanne

Ma tante, dans un dernier hoquet, m’a remerciée et dit « à samedi », en raccrochant rapidement…

Eh ben, je n’étais pas dans la mouise… ayant déjà organisé une journée particulièrement chargée entre :

- mon rendez-vous chez le coiffeur, et celui chez l’esthéticienne (ouais, c’est nul, je ne me résous pas à en changer, c’est comme pour la gynéco et l’endocrino… je n’arrive pas à sauter le pas)

- la visite surprise organisée de concert avec ma remplaçante à la maison de retraite

- le déjeuner avec elle, en suivant puisque le resto était déjà réservé

- l’apéro et le dîner, le soir, avec mon ancienne garde rapprochée de collaborateurs adorables et exceptionnels qui me manquent terriblement

- les impôts de Pierre que je devais absolument passer faire

- le goûter avec les Copains Gauchos puisque Monique voulait absolument me voir pour m’informer de quelque chose

- les bouquins de Benoîte Groult et de Hollande que je voulais absolument acheter à la FNAC pour écluser mes bons d’achat reçu à Noël par mon nouvel employeur

- et j’aurais apprécié de passer un peu de temps autour d’un thé avec Marie et Pascale, pour le moins… et de traîner dans les boutiques limousines, n’ayant pas encore

Autant vous dire qu’adieu veaux, vaches, cochons, couvées… J’ai revu mes prétentions d’emploi du temps à la baisse… et suis rentrée avec mes poils, sans bouquin, sans avoir vue les Copines, en m'étant vertement engueulée avec mon cousin (quelle chance, finalement, d'être fille unique et de ne dépendre de personne pour prendre des décisions, le jour où les décisions sont à prendre... !) et en ayant, un peu, bâclé le rendez-vous avec les copains Gauchos, même si je suis restée autant disponible que je le pouvais à l’accompagnement de l’annonce des métastases osseuses de Monique, post néo du sein…

Quelle claque, cette annonce, quelle claque !

Et Suzanne... Mais comment font ceux qui ne connaissent rien à la géronto et aux réseaux qui la composent ???

3 juin 2018

1478 jours plus tard... ou l'autre face du miroir...

Je crois vous avoir déjà parlé de Ma Vieille Dame Indigne Préférée, par ailleurs et dans une autre vie, dans un autre contexte et les jours passant, les années aussi, voilà que cette Vieille Dame a aussi enchaîné les années qui ont fait d'elle une alerte (ou pas) Nonagénaire. Drine, vois-tu de qui je parle, toi qui l'as découverte lors des obsèques de Papa ?

Je vous rappelle qui elle est ?

Suzanne est donc née sept ans et un mois après l'armistice de la première guerre mondiale, d'un père inspecteur des contributions directes ou indirectes de l'époque et d'une mère demi soeur de la mère de ma Mamie Chérie. Vous suivez ? ah ah ah, j'adore vous perdre avec ma famille paternelle recomposée compliquée ! En résumé, aucun lien de sang avec elle mais bien plus de lien du coeur qu'avec la moindre personne de ma vraie famille, sauf peut être la cousine germaine de Papa et ses enfants.

Bref... ses parents étaient deux enfants de paysans nés à la fin du XIXème siècle, au pays du Pain Noir (pour ceux qui ne sont pas Limousins, bon courage), l'un ayant poursuivi après son certificat d'études, l'autre non mais le compensant par un dévouement et une soumission sans faille à un mari, homme de tête du début du XXème siècle, comme il me plaît à l'imaginer, puisque mort dix ans avant ma naissance.

En revanche, Mémé Louise devenue autant revêche au fil des ans vis-à-vis de sa fille qu'elle avait pu être soumise à son mari, était un amour avec moi et se pliait en quatre pour exaucer le moindre des mes désirs. Il faut dire que jusqu'à la naissance de Frédéric, mon cousin qui ne l'est pas, j'étais la seule enfant de cette famille... Je me souviens de son visage, ridé comme une pomme qui a passé l'hiver à la cave, et souriante de toutes ses dents qu'elle n'avait plus, participant avec gourmandise au goûter du mercredi après midi, délicieusement préparé par Suzanne, avant de me reconduire à l'internat.

Suzanne était très proche de ma Mamie Chérie et encore plus proche, je crois, de mon Pépé tout autant Chéri ce qui a, inévitablement, beaucoup influé sur la relation que nous avons pu tisser elle et moi. Je me souviens que lorsque j'étais enfant, j'étais interloquée par cette femme que je n'avais jamais vue qu'en pantalon, prof de maths, sans enfant ni mari, passant tous ses loisirs avec une amie datant du collège, sans enfant et sans mari comme elle... Elles parcouraient ensemble le monde, partant toujours toutes les deux, sans se soucier de quoi ou de qui que ce soit, ayant même poussé l'amitié à acquérir une fermette dans l'Oise ensemble ! Elles vivaient l'une et l'autre à Paris.

Pour la petite fille d'un couple de paysan à l'esprit, reconnaissons le, quelque peu étriqué, mille questions me traversaient l'esprit et je l'avoue, cette Suzanne que j'adorais par ailleurs, m'intriguait et me fascinait en même temps. Si ce mode de vie est aujourd'hui quasiment commun, imaginez la liberté de cette femme dans les années 80... d'autant que lorsque j'avais posé la question à ma grand mère sur l'absence de mari dans cette histoire, celle-ci m'avait raconté à mots couverts que Suzanne avait divorcée, quelques années après l'avoir épousé contre vents et marées, d'un homme déjà divorcé d'un premier mariage, chercheur et brillant, et qu'elle avait rejoint aux Amériques lorsqu'il était parti y enseigner. Que cela avait manqué de tuer son père et sa mère, puisque fille unique !

(s'il y a un psy dans la salle, qu'il se taise ! ok ?)

Bref, donc Suzanne puisque nous parlons bien d'elle !

Il y a quelques mois, entre mon déménagement et ma prise de poste, j'étais passée chez elle partager quelques heures d'échanges et de discussion, et bien sûr, je lui avais apporté ces fichus babas au rhum dont elle rafole et que l'on ne trouve plus, nulle part, dans les pâtisseries de la ville. Nous avions alors échangé sur la Vie, et le sens de la Vie, sur la Liberté, et la place des femmes dans la société, moi qui venais d'accepter un poste avec une diminution de salaire de plus de 30% pour disposer de plus de temps pour moi, et vivre, enfin, dans une région que j'ai choisie. Nous avions aussi parlé de cette troisième tentative de couple que je menais... et de ma vision du couple et de l'Amour. Je lui avais demandé de me raconter SON mai 68 à elle, sa Syrie à elle qu'elle avait traversé en long en large et en travers, de notre tristesse à la décrépiture actuelle des valeurs socialistes et la médiocrité de ceux qui les portent, des enfants, des parents... de sa relation à sa mère. Bref, c'était un moment d'une richesse et d'une intensité extrêmes, même si quelque chose m'avait étonnée... mon fils et les cousins de sa génération n'avaient été que très peu présents dans l'objet de cet échange et bon, avouons le, deux/trois fois, elle m'avait reposé la même question.

Et puis, pendant six mois, le lien s'est poursuivi au téléphone... son anniversaire, le premier de l'an... et à raison, environ, d'une fois par mois. Je connais sa Liberté et son besoin d'indépendance. Je n'allais pas la coller aux basques, d'autant que mon cousin l'appelle plusieurs fois par semaine et mon oncle et ma tante sont assez présents auprès d'elle. Je sentais bien que la mémoire immédiate était fluctuante, voire déliquescente, mais sa joie à m'entendre était toujours aussi importante et son accueil téléphonique de ceux qui réchauffent le coeur !

En vacances pour Pâques - que celui qui dit que les fonctionnaires ont beaucoup de vacances sorte immédiatement de ce blog :p -, nous sommes, l'Amoureux et moi passés la voir... après en avoir demandé l'autorisation avant, bien évidemment...

Au premier pas fait dans sa maison, j'ai reconnu cette putain d'odeur reconnaissable entre mille...

Si la première demi heure de notre échange était tout à fait cohérente et construite, très vite elle a commencé à m'interroger sur les premières interrogations... et la demi heure suivante, fut une boucle de questions.
J'ai donc, pour faire une pause, organisé le goûter et alors que d'ordinaire, le baba au rhum était dégusté en quelques minutes tout en se lêchant les babines telle un chat puisque nous partageons aussi cet amour là, elle en a mangé seulement la moitié et je l'ai sentie très vite repue.

Durant toute cette rencontre, elle m'a interrogée longuement sur la vieillesse, la maison de retraite, les modes d'accueils alternatifs en me disant bien que de toutes façons, elle n'aurait pas les moyens de se le payer... Son avenir l'inquiétait, c'était une évidence, et de vous à moi, son avenir a également commencé à m'inquiéter également.

J'ai donc alerté mon oncle et ma tante, et ils ont alors déversé toute leur difficulté à l'accompagner également, son caractère d'indépendance et de "de quoi je me mêle" n'ayant pas bougé d'un pouce. Au contraire, le voici sans doute renforcé encore par les difficultés de vie qu'elle traversait. Ma Tante, devenue son bouc émissaire, craquait à me raconter la dureté des mots de Suzanne à son égard, et sa propre incompréhension face à une telle situation.

J'ai expliqué, en long, en large et en travers les difficultés liées à ces troubles cognitifs, la moins mauvaise attitude à avoir, et travaillé, longuement, sur la notion de Liberté de choix et qu'il était urgent de ne RIEN faire tant qu'elle ne voulait pas que l'on fasse quelque chose, que les événements allaient décider d'eux-mêmes, à un moment ou à un autre. Difficulté à faire entendre à un aidant qu'il devait accepter d'être impuissant et inactif, et je me suis revue dans une posture professionnelle, sauf que là, c'était personnel et chargé d'affect !

Et jeudi soir, je suis arrivée pour le week end... bien décidée à en profiter pour faire le plein de repos, d'affection et de bienveillance de ma famille et de mes amis, pas vus pour certains depuis mon départ.

A suivre...

23 février 2014

Les vieux mariés - Acte 6

Le téléphone a sonné vers 10 heures. Monsieur Fusion avait chuté cette nuit, retrouvé à moins de 35°, Madame n'avait pas pu alerter. Liliane était sur place, alertée par son aide soignante. Elles étaient en train de réchauffer Monsieur. Le médecin traitant, appelé, s'était fait tirer l'oreille pour se déplacer ; il a fallu une nouvelle menace d'inscription sur les transmissions.

Liliane a pris le prétexte de cette chute pour leur annoncer leur admission en EHPAD. A moi de venir les rencontrer, sans que leur accord ne doit donné, ils n'ont pas été opposants. Madame a murmuré "je vous fais confiance, il faut que nous soyons en sécurité". Résignation plus qu'assentiment.

L'annonce de leur arrivée a été faite à l'équipe, le contexte de leur admission également. Diverses réactions dans la salle, des surprises à l'indignation, en passant par le jugement, ce qu'il faut éviter à tout prix.

Le lit double est arrivé à 11h30, comme prévu.

A 16h30, les deux ambulances sont arrivées, avec une heure et demie de retard. Dois-je vous dire combien j'étais anxieuse ? Le départ de leur maison ne s'était pas mal passé, Monsieur était toujours couché, peu réactif. L'aide soignante les a accompagnés, a fait les transmissions à notre équipe soignante. Je suis allée les saluer une fois installés dans leur chambre, au moment du repas, pensant le moment plus opportun.

Ils avaient refusé de manger. L'aide soignant, de guerre lasse, avait laissé les deux plateaux face à eux, et était parti aider un autre résident à dîner. J'ai commencé à échanger avec eux, et leur ai demandé si je pouvais les aider à manger. Madame a murmuré un oui timide, Monsieur a tout à coup récupéré beaucoup de force pour lui dire "mais enfin, tu ne vois pas qu'elle fait ça pour nous faire payer plus cher... Ne mange pas ! Ne mange pas !!!" Madame, d'un revers de main, a mis fin à sa colère et a ouvert la bouche pour une première cuillère. Le potage n'était plus assez chaud, je lui ai demandé si elle acceptait que je le refasse chauffer, elle a acquiscé. Et ainsi, de cuillère en cuillière, elle a tout avalé, jusqu'au dernier vermicelle. Elle n'a pas touché au plat, mais a accepté le yaourt, puis un deuxième, puis le dessert... Monsieur, quant à lui, était toujours dans la révolte et la persécution. Son plateau a été mis de côté, en prévision d'une nouvelle tentative de la part de l'équipe de nuit.

Entre temps, j'ai appelé Liliane pour lui faire part de la suite des événements, et en profiter pour connaître les goûts culinaires de Monsieur, savoir s'il était gourmand, s'il avait un péché mignon... Il semblerait que Monsieur ne serait pas capable de résister à une pâte de fruit. J'ai donc filé en cuisine pour rajouter quelques pâtes de fruit sur le plateau de nuit...

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10 janvier 2014

Les vieux mariés - Acte 5

J'ai raccroché ko debout. Quelle marge de manoeuvre avions-nous ? L'horreur ou l'horreur ? Une admission précipitée et violente ou une séparation de ce couple inséparable encore plus violente ? La solitude du directeur dans toute sa splendeur.
Malgré une réunion de l'équipe de direction convoquée en urgence et au cours de laquelle nous avions tourné les tenants et les aboutissants dans tous les sens, personne n'a pu trouver l'argument irrévocable pour faire pencher la balancer en faveur de la moins pire des solutions.

C'est donc en mon âme et conscience que je l'ai prise, cette putain de décision et que j'ai rappelé le curateur pour lui dire ok, nous les accueillons, mais demain seulement, le temps de faire rentrer le lit dans lequel ils pourront au moins dormir ensemble. Charge à lui de les préparer psychologiquement et de les accompagner dans l'entrée, c'est à dire préparer l'aménagement de leur chambre pour, qu'à moins, ils y retrouvent quelque lien avec leur chez-eux.

Le soir même, le hasard fit que nous devions tous nous retrouver pour une réunion d'information qui n'avait rien à voir avec notre problématique du moment, Liliane, Jean CHarles, et tous ceux qui avaient participé à la réunion de direction. Au pot de l'amitié qui suivait ce moment, la confrontation avec Liliane fut rude car elle m'apprit, au milieu de tous, que malgré leur engagement, en fait, personne, pas plus elle que le curateur, n'avait eu le cran d'annoncer à Monsieur et Madame Fusion qu'après plus de 70 années à vivre dans cette maison, ils y passaient leur dernière nuit. L'argument était que monsieur aurait pu tenter de se suicider (monsieur qui je le rappelle ne tenait plus debout... Sans commentaire !)

Il avait donc été décidé par tous ces bien-pensants qu'on ne leur annoncerait leur départ définitif de leur maison pour un EHPAD qu'au moment de monter dans l'ambulance, au moment de partir pour ne pas risquer un refus ou donc, une tentative de suicide. 

Ce fut  un choc terrible pour moi : cette annonce m'a glacée et j'ai littéralement senti le sol se dérober sous mes pieds. L'expression "ne pas en croire ses oreilles" était on ne peut plus en lien avec ce sentiment qui m'a saisie. J'ai eu l'impression d'avoir été le dindon d'une farce parfaitement orchestrée et c'est une sourde colère qui m´a saisie.
Que les choses soient claires et qu'il n'y ait aucune méprise : Liliane, avec qui je travaille depuis des années, est une collègue absolument formidable, très à l'écoute. Notre philosophie de l'accompagnement est très proche, elle est très humaine et est capable de déplacer des montagnes. Je ne l'ai pas reconnue dans cette façon de procéder, aux antipodes de ce qu'elle est habituellement. Ne pas reconnaître ses pratiques à juste fini de me faire douter des miennes, et ô combien douter. Vaciller serait le terme le plus juste.

Ce soir là, je lui ai dit, froidement, avec sans doute un ton hargneux (duquel je me suis excusée par la suite), que j'aimerais juste qu'elle se projette, elle, à 95 ans, et qu'on lui fasse quitter sa maison pour toujours et ne pas le savoir. Est-ce parce qu'on a 95 ans qu'on n'est plus capable de décider de sa destinée ? Je lui ai dit qu´elle couvrait une démarche maltraitante et qu´elle même, en agissant ainsi, était maltraitante. Mes mots durent etre terribles à recevoir. Je lui ai dit que dans ces conditions, je ne les admettrai pas, que je ne souhaitais pas mettre l'équipe en difficulté, que je n'avais pas de psychologue le lendemain, et que surtout, surtout, à la place de M. et Mme Fusion, je préférerais mourir plutôt qu'un jour, on me fasse vivre la même chose. J'ai bien conscience que mes arguments n'étaient pas professionnels pour un sou, mais à l'instant précis, je n'avais plus la distance qui sied à l'exercice.

La soirée fut terrible. Glaciale. J'obtins cependant à la fin de la soirée que Liliane passe le matin pour leur annoncer ce départ définitif et qu'une des aide soignantes du SSIAD les accompagne sur l'entrée. Il fut également acquis que la psychologue de la structure reviendrait sur son jour de congé pour accompagner elle aussi cette entrée.

Ainsi fut décidé. Une emplâtre sur une jambe de bois.

Ma nuit fut blanche, d'un bout à l'autre. J'imaginais, terrifiée, qu'un jour on me ferait ce que j'étais en train de faire...

9 janvier 2014

Les Vieux Mariés - Acte 4

- Jean Charles ? C'est RdT. Tu te souviens du dossier qu'on a instruit, en urgence, il y a six mois pour M. et Mme Fusion ?
- Euh...
- Si, 95 et 93 ans, seuls à domicile, accompagnés par le SSIAD et le SAD, refusant l'entrée en structure, il a fallu qu'on décommande le lit double.
- Ah ouiii, M et Mme Fusion (comme quoi, hein, les MedCo aux troubles mnésiques... ça arrive :p)
- Bon, ton collègue Yves y est allé ce matin et aurait ordonné, soit une entrée en structure, soit une hospi, l'un au CHS, l'autre au CHU. Pourrais-tu savoir précisément de quoi il en retourne ? Je viens de faire des palabres au téléphone avec le curateur et la directrice du SSIAD...

Un petit quart d'heure passe...

- RdT, c'est Jean-Charles. Bon, la situation est effectivement dramatique et plus tenable à domicile. il faut absolument qu'ils rentrent.
- Il leur en a parlé, Yves ?
- Ben non, il a juste appelé le Curateur et l'aide à domicile qui était là a appelé sa directrice. Non mais là, faut absolument qu'ils rentrent, ou alors, une hospi, mais si on les envoie en urgence, ils vont revenir.
- ...
- Madame a été opérée d'une cholécystite (vésicule biliaire) il y a un mois et demi ; elle est rentrée à domicile il y a quinze jours. Monsieur a des troubles du comportement, des hallucinations, et aucun traitement pour tout ça !
- Ah...
- Ah ouais mais là, Yves m'a dit que c'était juste plus possible, qu'il fallait faire quelque chose...
- Stop, Jean Charles. J'entends, ce n'est plus possible, Faut faire quelque chose, y'a qu'à les prendre, faut qu'on les place... j'entends ça depuis ce matin mais pour l'heure, personne, tu entends bien, personne n'a eu le cran de leur dire qu'ils allaient quitter leur maison...
- Ben ouais, mais on fait quoi ? On peut plus les maintenir à domicile.
- On pourrait si le juge autorisait une présence H24. Ils ont les moyens de se le payer.
- Je suis désolé, faut que je te laisse, je sais pas quoi te dire, ni comment faire. Mais c'est sûr, va les voir, tu verras, c'est plus possible, plus possible du tout ! Mais j'sais pas comment tu vas faire, mais fais le ! On a de la place ?
- Non ! Bien sûr que non ! Tu le sais bien, on a 120 personnes en liste d'attente.
- Ouais, mais là, c'est une urgence. Et tu sais bien que s'ils ne rentrent pas à l'EHPAD, ils seront séparés.
- Oui, je sais, et ils ne dormiront plus dans le même lit, je sais... J'en ai marre de ce métier, parfois.
- AH non, hein, tu te décourages pas. Hop hop hop, tu vas nous trouver une solution, hein... Allez, je te fais confiance. On se voit ce soir, et on en reparle.

8 janvier 2014

Les vieux Mariés - Acte 3

- Bonjour Madame, ça y est, nous y sommes, nous avons largement dépassé les limites du maintien à domicile...
- Oui, mais le problème est toujours le même, Monsieur, nous ne pourrons pas les accueillir tant qu'ils n'auront pas verbalisé au moins leur assentiment à défaut de leur accord. Et lorsque nous nous sommes rencontrés, souvenez-vous, l'un et l'autre ont été catégoriques : ils veulent rester à domicile. Il faut absolument que nous nous rencontrions et que nous les rencontrions eux aussi.
- Il est hors de question que vous veniez avec votre psychologue. Ça ne sert à rien, elle n'a pas réussi à les faire changer d'avis il y a six mois, elle n'y réussira pas davantage aujourd'hui.
- Mais est-ce que vous leur avez parlé de ce projet ? Est-ce que le médecin a évoqué avec eux une entrée en structure ?
- Non, si on leur dit, ils refuseront.
- Je suis contente de vous l'entendre dire ! C'est ce que je vous dis depuis le début de notre échange téléphonique.
- Mais le médecin de garde qui est venu a dit qu'il n'y avait pas de solution. Que c'était votre établissement, ou une hospitalisation, mais pas aux urgences parce qu'ils reviendraient illico
- Effectivement, le médecin de garde a raison ; si on n'est pas dans une démarche d'admission dans un service, il ne faut pas les adresser aux urgences qui sont déjà surchargées ; nous avons eu un urgentiste au téléphone pas plus tard qu'hier.
- Bon, alors, que faisons nous ? Vous pouvez les prendre cet après midi ?
- ... J'appelle mon médecin coordonnateur qui travaille avec le médecin de garde qui les a rencontrés, et je reviens vers vous.
- Bien, j'attends votre appel. Moi, ce dossier, j'en ai par dessus la tête. Si vous les aviez pris il y a six mois, on n'en serait pas là aujourd'hui, et c'est sur moi, encore, que ça repose.
- Pardonnez moi, vous êtes un professionnel, et je crois que votre mission de mandataire est rémunérée, non ? Partant de là, nous sommes entre professionnels et je n'aurai pas de compassion. Je vous rappelle après avoir glané quelques informations complémentaires.

7 janvier 2014

Les vieux Mariés - acte 2

AH oui, j'allais t'appeler, là, c'est plus possible. Monsieur a été retrouvé au sol, je ne sais pas combien de temps il est resté, on a appelé le médecin de garde parce que leur médecin traitant n'a pas pu (voulu ?) se déplacer. C'est soit tu prends les deux cet après-midi, soit l'un part en psychiatrie et l'autre aux urgences. Céplupossib' ! On est à trois passages par jour et 8 heures d'aide à domicile.
- Stop Liliane. Quand on s'est vues sur place il y a six mois, ils ont été fermes, et clairs ! Ils ne veulent pas aller en structure. Ils veulent rester chez eux. Tu te souviens de leurs mots, tu les as entendus aussi bien que moi. Souviens-toi de l'échange avec la psychologue. Ils veulent mourir, ensemble, et dans leur lit ! On a tout essayé il y a six mois, il n'y a pas eu moyen d'obtenir leur assentiment. Tu sais très bien que je ne les accueillerai pas s'ils ne me disent pas oui...
- Ah oui mais là c'est plus possibleuh, tu veux pas comprendre !
[le ton commençant à monter...]
- Stop ! Pourquoi ce n'est plus possible ? Ils n'ont pas d'enfant, ils ont les moyens de payer trois ans d'hébergement à deux. On avait vu avec le curateur pour une présence des aides à domicile H24. C'est pas en place ça ? C'est ce qu'ILS veulent ! Merde Liliane, ils ont 95 et 93 ans. Tu te projettes un peu ??????
- Baisse le ton ! Non, mais tu ne te rends pas compte, il y a déjà 8 heures d'aide à domicile par jour, plus trois passages du SSIAD.
- Oui, pardon, je me suis agacée, mais c'est inconcevable ce que tu me racontes, là. Pourquoi il n'y a pas de garde H24 ? Pourquoi ? Ils ont les moyens de se la payer ! Ils n'ont pas d'enfant ! Pas de neveu ! Ils ont vécu chichement toute leur vie, merde ! Pourquoi ???
- Ben en fait, le curateur n'a pas eu l'autorisation du juge ; le juge refuse que les curateurs signent des contrats de travail, et la nuit, on ne peut passer que par un service mandataire. C'est trop risqué, tu ne te rends pas compte.
- Attends, Liliane, tu es donc en train de me dire, là, que ce couple, GIR 1 tous les deux, est seul 16 heures par jour, livré à lui même, parce qu'un juge estime qu'être employeur est trop risqué ??????
- Oui !
- ...
- Mais c'est pas si facile que ça... tu ne veux pas comprendre.
- ... Et donc, là, tu me demandes de prendre ces deux personnes en hébergement permanent, sinon, ils partent l'un au CHS, l'autre au CHU ?
- Oui ! Et dès cet après midi si tu peux !
- Mais ils sont d'accord pour entrer en maison de retraite ?
- Euh... Attends, je te passe le curateur, il faut que j'y aille...

 

 

 

5 janvier 2014

Les vieux Mariés - acte 1

Où commence et où s'arrête la bientraitance ? Posons le décor.

Monsieur et Madame Fusion.

Monsieur, 95 ans aux Chrysanthèmes, Madame, 93 ans aux Lilas. Ils vivent ensemble depuis plus de 70 ans, sans enfant, dans la maison parentale de Monsieur que ses parents ont construite alors qu'il avait 8 ans. Enfants uniques tous les deux, ils n'ont pas de neveu et juste une vieille cousine qu'ils ne voient plus depuis des années. Une voisine fait lien mais, si l'on gratte un peu la relation, on pourrait s'interroger sur le versant un poil malsain du truc...

Madame n'a pas de pathologie particulière, en dehors de celles liées à l'âge et est d'une nature particulièrement encline à demander à Monsieur de lui faire ses mille volontés. Mais de parole de voisinage, il semble que le couple aurait toujours fonctionné ainsi. Madame ne sort plus depuis plus de dix ans ; Monsieur était encore vaillant et parcourait le quartier pour faire les courses et pourvoir aux besoins de la maisonnée jusqu'à il y a deux/trois ans.

Un SSIAD intervient pour Madame depuis une petite dizaine d'années ; un SAD intervient depuis 3/4 ans. Un médecin traitant porte l'ensemble et vaille que vaille, ils continuent à avancer ainsi, leur voeu le plus cher étant de vieillir chez eux jusqu'à ce que mort les sépare, et si mort pouvait les prendre tous les deux en même temps, ce serait quand même beaucoup mieux. Ils implorent d'ailleurs dieu en ce sens, et justement, ils ont tellement donné à dieu qu'il pourrait bien leur rendre ce service, faut pas déconner non plus !

Un jour le médecin traitant trouve que monsieur commence quand même un peu à perdre les pédales et lance une demande de mesure de protection. C'est acté, un curateur est nommé. Monsieur est résolument contre, tempête, fulmine, et n'accepte pas qu'un étranger vienne mettre le nez dans dans ses affaires, et lui pique ses sous et son chéquier. Il a des accès de fureur, que le médecin classe "troubles du comportement". Ben voyons !

Quelques mois plus tard, (deux ?), appel au secours du médecin traitant et du curateur, ensemble :
- "Bonjour Madame, il paraît que vous accueillez des couples, on a une entrée à faire en urgence, un vieux couple qui ne peut plus rester à domicile.
- Euh, vous avez déposé un dossier ? Nan mais parce que là, on a comme qui dirait une petite dizaine d'années de dossiers en attente, alors, euh...
- Ah oui mais non, là, c'est pas possible, c'est TOUT DE SUITE ! Les laisser à domicile relève de la maltraitance, ils se mettent en danger, regardez, on les a retrouvés totalement déshydratés, il fait 30° dehors, ils sont habillés comme en hiver et il y a encore du chauffage chez eux, non mais là, c'est plus possible, FAITES QUELQUE CHOSE !

Il s'avère que ce gentil couple est accompagné par l'un des SSIAD dont je connais parfaitement l'IDEC... Fastouche !

- Allo, Liliane, je suis appelée au secours par le médecin et le curateur de M. et Mme Fusion. Tu peux m'en dire un peu plus ? Il semblerait que l'accueil en EHPAD relève d'une urgence vitale ?
- ...

 

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Le quotidien d'un directeur d'EHPAD
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